Interview de Catherine Germain, alias Arletti (Cie L'Entreprise)

par Jean-Bruno GUGLIELMINOTTI - il y a 5 années

Comment le clown est-il apparu pour Catherine Germain? Quelles relations le comédien, le clown et le public entretiennent-ils? Qu'est-ce qu'être clown? Ces questions, et bien d'autres, sont la toile de fond d'une interview de Catherine Germain réalisée par Jean-Bruno Guglielminotti pour La Grande Famille des Clowns

Toute reproduction totale ou partielle du contenu de cet interview sans autorisation écrite de leurs auteurs, Catherine Germain et Jean-Bruno Guglielminotti, est interdite.

Avez-vous déjà été « touché » par un clown ? Moi oui, quand à l'invitation de nombreux membres du groupe Facebook La Grande Famille des Clowns © je suis allé voir Arletti dans « Le 6ème jour ». L'opportunité s'est présentée lors du festival « Clowns not dead » qui programmait « Le 6ème jour »( 1 ), au Pôle Jeune Public du Revest-les-Eaux le 11 décembre 2015.

Je me souviens du temps d'attente avant le spectacle et des questions qui m'ont traversé l'esprit : qu'allais-je découvrir ? Pourrais-je être déçu ? La curiosité grandissait et je m'attendais à un moment unique.

Avec Arletti, je me suis senti renaître, comme si la magie de la création du monde opérait : expérience rare, inoubliable, vivre une œuvre où l'art rejoint la vie et la rend parfois plus dense, ou plus légère... et si belle ! S'il est possible de tomber amoureux d'un clown, je crois que cela m'est arrivé ce jour-là( 2 )...! Je me revois à la sortie du théâtre le cœur léger, joyeux, comme revivifié au point d’être prêt à dépasser ma timidité pour aller remercier l'artiste.

Alors, j'ai découvert celle qui est « derrière » Arletti. Et en regardant les traits du visage de Catherine Germain, je me suis demandé où était cet être étrange qui venait de nous quitter quelques instants auparavant... J'étais si intrigué qu'il me fallait absolument en savoir plus.

Et si j'osais proposer une interview à Catherine Germain ? Un, deux, trois, je me lance ! Je bafouille un peu... Catherine Germain accepte – immédiatement - et me demande, pour préparer notre entretien, de lire « LE CLOWN ARLETTI vingt ans de ravissement » qu'elle a écrit avec François Cervantes. Elle m'informe qu'un travail en résidence est prévu avec lui pour poser un regard neuf sur certaines parties du spectacle.

Piqué par la curiosité, je suis retourné voir « Le 6ème jour » à la Friche de la Belle de Mai à Marseille, après le travail en résidence, le 23 janvier 2016. En quittant la salle, il m'a semblé que les expressions des visages des spectateurs autour de moi étaient changées. Nous n’étions plus tout à fait les mêmes. Et je me souviens du sourire et des yeux illuminés d'un voisin inconnu dont j'ai croisé le regard, comme si cette expérience personnelle pouvait être partagée par un seul sourire.( 3 )

Me plonger dans « LE CLOWN ARLETTI vingt ans de ravissement » pour préparer l'entretien a nourri mon désir d'en savoir plus à propos de la démarche artistique de François Cervantes et de Catherine Germain. Comment le clown apparaît-il ? Quelles relations le comédien, le clown et le public entretiennent-ils ? Qu'est-ce qu'être clown ? Ces questions, et bien d'autres, seront la toile de fond de notre entrevue.( 4 )

Enfin me voici avec Catherine Germain à la Friche de la Belle de Mai, sur le site de la Compagnie l'Entreprise.

Nathalie Fletcher a eu la gentillesse de nous rejoindre pour réaliser quelques photos. Elle se fait « souris » : je ne la vois plus, mais je sais qu'elle est là. Et nous sommes partis pour près de deux heures de conversation...


© Nathalie Fletcher / Catherine Germain
© Nathalie Fletcher / Catherine Germain


Jean-Bruno Guglielminotti : « J'ai vu « Le 6ème jour » dans ses deux versions. J'ai lu avec délectation « LE CLOWN ARLETTI vingt ans de ravissement » que vous avez écrit avec François Cervantes. Beaucoup de questions de cet interview vont porter sur ce livre qui date de 2008. Pourrais-tu nous dire comment est né votre projet d'écriture ? Quelle était votre intention ? »

Catherine Germain : « Je pense que c’est venu à force de jouer des spectacles, quand des gens venaient à la fin me demander : «  Est-ce que vous proposez des stages ? »

Je ne pense pas que l'on peut répondre à tous les désirs que les gens ont quand ils voient un spectacle de clown. Parce que pour certains c'est très communicatif physiquement, le plaisir est immédiat et ce qu'ils ont reçu a eu valeur de transmission.

Dans un spectacle, le travail se fait au même moment dans le public et sur la scène. Et dans le cas d'une question comme celle-là posée juste en sortant de scène, c'est presque décourageant. Le livre, c'était aussi une autre manière de transmettre en retraversant l'historique de notre démarche avec François pour que le clown ne soit pas seulement rattaché à la notion de stage (au fond je n'ai jamais fait de stage de clown, moi !).

C’était remettre l'histoire de la naissance d'un clown dans un contexte qui a été celui d'une conversation ou d'un échange entre un auteur et une comédienne. C'était retracer le parcours, pour que peut-être en le lisant, les gens y voient des résonances personnelles.

En tous cas ce n'était pas pour donner des recettes sur le travail du clown, mais pour éclairer une histoire singulière. Il y a plein d'histoires sur la naissance d'un clown, chacune est unique. »

J.-B. G. : « Quand je t'ai rencontrée pour la première fois, c'était après « Le 6ème jour ». Tu m'as parlé de votre projet de résidence pour ce spectacle. Vous aviez notamment prévu de retravailler le sixième jour, jour de la création de l'homme. Tu m'as dit : « L'homme pour vous [qui étiez dans la salle] c'est important »... Cela m'a frappé. C'était comme si Catherine exprimait ce qu'Arletti aurait pu dire sur le plateau ! »

C. G. : « Quand je sors de scène, il y a un temps, souvent long, où je vois sur vos visages, dans vos corps, la joie qui est encore là. Je suis aussi habitée par cette joie, mais elle ne se manifeste pas de la même manière.

Pour moi l'idée fondamentale du clown, c'est qu'il est essentiellement un être intérieur. Il n'existe pas en dehors de la relation qui s’établit entre le public et lui. Cette fantaisie que l'on a sur le plateau, elle nous habite longtemps encore après. Et justement, dans le travail en résidence pour « Le 6ème jour », on s'est reposé la question avec François, si, à la fin, Arletti disait « Et nous on n'est pas encore créé ? » ou alors « Et vous, vous n'êtes pas encore créés ? ». Et le choix a été de dire nous. Arletti au fond fait partie des hommes, parce qu'il y a derrière elle une comédienne qui réfléchit à cette question. »

J.-B. G. : « Dans votre livre, tu expliques comment tu te transformes en clown : « Je te peins un cercle rouge sur le nez. Petit pour ne pas m'afficher avec fracas dans la confrérie des clowns mais suffisamment visible pour repérer mon ambiguïté à aimer en faire partie »( 5 ). Pourquoi ce souci de discrétion vis-à-vis de la « confrérie des clowns » ? »

C. G. : « Peut-être que le clown devient une spécificité depuis quelques années où l'on voit germer beaucoup de spectacles de clown.

Le clown n'est pas un personnage, mais plutôt une position intérieure.

J'ai sans doute été très maladroite un jour au Prato où Gilles Defacque( 6 ) m'a demandé : « t'es clown toi ? » J'ai répondu : « Non, je ne me sens pas clown. Je me sens comédienne avant tout. »

Pour moi c'est la notion du théâtre qui passe en premier. Le clown est arrivé dans ma vie de comédienne et il a curieusement complètement bousculé ma compréhension du théâtre.  

C'est quoi en fait être sur scène ? Le clown aide à comprendre le phénomène de ce que c'est que d’être dans la lumière et de s'adresser à des gens qui sont dans l'obscurité. Dans les deux cas, je me demande quel est le plus éclairé des deux.

Le clown permet d'ouvrir ce fameux « quatrième mur » de façon violente et fulgurante.

Il semble dire : « je sais que vous êtes là, vous savez que je suis là, mais pourquoi on est là ? » Et ça concerne tout le monde.

Et c'est profondément la question d'un acteur sur une scène de théâtre.

J.-B. G. : « François Cervantes écrit que le maquillage d'Arletti est « proche de celui d'Albert Fratellini ». Il ajoute que tu ne t'es « pas posé la question de trouver quelque chose de plus personnel ».( 7 )

Pour toi, Albert Fratellini était, je te cite : « le plus fragile des trois frères », « d'une naïveté et d'une bêtise adorable ».( 8 ) Tu réalises plus tard que son maquillage t'a inspirée - comme inconsciemment - le maquillage d'Arletti. Qui est Albert Fratellini pour toi ? Est-il simplement un clown qui t'a marquée ? »

C. G. : « Albert Fratellini n'est pas un clown qui m'a marquée, je ne l'avais pas vu jouer. J'avais sur le frigo de ma cuisine un petit être en plâtre dont le visage m'impressionnait. Je suis très vite impressionnée visuellement par des formes. J'ai l'impression que je suis attirée d'emblée par ce que je vois derrière un visage. Mais c'est la surface de ce visage qui permet cette exploration.

Ce petit être en plâtre qui était sur le frigo de ma cuisine avait un maquillage du type de celui d'Albert Fratellini. J'ai vu une photo d'Albert Fratellini, et parmi les trois frères, c'est ce type de maquillage qui me fait le plus d'effet parce qu'il me renvoie l'image d'un éberlué, de quelqu'un qui arrive au monde avec toute la surprise de se sentir vivant, là ! Son visage suffisait à m’enchanter, donc à me donner l'envie d'aller vers lui. »

© Christophe Raynaud de Lage / Catherine Germain devient Arletti
© Christophe Raynaud de Lage / Catherine Germain devient Arletti

J.-B. G. : « Est-ce que d'autres clowns t'ont marquée ? »

C. G. : « Oui. Grock, Charlie Rivel énormément et... parmi mes contemporains, bien sûr le Boudu (Bonaventure Gacon), Zig (Dominique Chevallier), mon compagnon de route avec qui nous avons débuté l'aventure du clown, l'école russe des Licedei avec Slava Polunin (qui étaient venus au théâtre du Ranelagh à Paris dans les années 90-95)... J'aime beaucoup l'animalité, la bêtise que peut dégager un être et jusqu’où cette bêtise est consentie avec une grande dignité.

J.-B. G. : « François Cervantes vous « avait demandé de créer un personnage dont [vous tomberiez] amoureux. » Et quand tu poses la question : « comment être en même temps celui qui aime et celui qui est aimé ? », tu réponds : « c'était un jeu qui exigeait du silence et de la foi. »( 9 ) S'agissait-il de croire en ce qui était proposé par François Cervantes ? Sinon, en quoi d'autre se situait la foi ? »

C. G. : « Il s'agit de la foi en ses propres abysses, de la foi en soi. La foi en soi c'est tellement difficile... On passe sa vie à essayer de se donner du courage.

Là, c'était d'arriver à un endroit où ce qu'on allait découvrir, allait nous orienter différemment, nous changer de manière irréversible. Un voyage sans retour, où nos moments de faille, d'échec, de fragilité, de doute, deviendraient nos forces. Dans ces moments de découragement profond, de désarmement, nous avons touché un socle, une terre à partir desquels nous pouvions commencer à créer. Il faut être très consentant, avoir des raisons profondes pour se « reconsidérer » entièrement.

Même avec les jeunes acteurs, je procède à ce retour à la source. Ça s'adresse forcément à quelqu'un qui n'a pas trop de certitudes déjà vissées au corps, c'est-à-dire à quelqu’un qui est lui aussi déjà en question, en chemin. Tu ne mets pas quelqu'un en question et en chemin uniquement parce que toi tu es passée par là.

Ce n'est pas fait pour « démonter » quelqu’un. C'est plutôt reconnaître que se démonter est au fond une nécessité permanente. Comme s'il fallait aller plutôt vers une perte, que vers une acquisition. Vers quelque chose qui t'allège, plutôt que vers quelque chose qui t'alourdit. Ne pas amonceler, mais peser moins. Pour trouver un ancrage sur lequel se base ta construction personnelle. C'est presque un socle de re-naissance parce que c'est de ta « propre naissance » dont il s'agit. La naissance du clown pour moi, c'est d'abord la naissance de l'acteur qui va vers le clown. Le clown est en ce sens un chemin et pas un personnage. Un chemin du présent, sans arrêt revécu. Le clown c'est la question du Présent absolu. Tu rentres sur le plateau, tout commence ! Tu es en train de faire quelque chose avec ton regard, c'est le premier regard du monde...

À partir du moment où tu entames cette recherche, tu sais que c'est par cette recherche, à chaque fois que tu rencontreras le public. Au fond, le public vient assister à cette rencontre un peu... métaphysique entre « Je te vois », « Tu me vois », « Qui est-ce qui voit en nous ? ». Ce sont ces deux êtres du « dessous » de nous, du « dedans » de nous, de nos abysses, qui correspondent dans un présent immédiat.

Un travail sur le clown pour moi se situe à cet endroit : remettre quelqu'un sur sa route en touchant un endroit de sa genèse à lui.

J'adore, par exemple, voir des enfants, venus en groupe scolaire, se singulariser très vite au fur et à mesure de la représentation. Chacun fait peu à peu silence en lui, pour ne plus faire partie du groupe et quelque chose répond de lui-même à chaque fois qu'il est en contact avec le clown. Ils sentent tout d'un coup que ça les concerne intimement. Pour moi, un public, est fait de toutes ces solitudes assises côte à côte dans les gradins qui sont vraiment des solitudes. Le public devient cette somme des solitudes qui s'est constituée. Et non pas, globalement un public, qui serait content ou pas content du spectacle. Ça c'est important ! »

J.-B. G. : « Comment est venu le nom d'Arletti ? »

C. G. : « C'est dans un moment d'improvisation, après des heures et des heures, où l'on restait debout devant François Cervantès, à essayer d'avoir le mot juste, le mouvement juste, le grain de voix juste, la pensée juste. Il a dû me demander : « Comment tu t'appelles, toi ? ». J'ai cherché, très peu de temps parce que c'est venu physiquement, comme ça, c'est remonté à la surface... J'ai dit ce nom qui correspondait dans ma présence, dans mes sensations, dans la couleur de ma voix, dans ce que je dégageais physiquement sur le plateau, à une chose qui a sonné, comme sonne une note de musique juste, ces syllabes-là justes, ce mot-là. Et après, tu fais le rapport avec un nom qui t'évoque quelque chose. J'ai dit ce nom, et après est arrivé le fait, que oui, quand j'en parle, cela a sans doute un rapport avec la comédienne Arletty, son nom, cette gouaille, cet univers qui me touchent. »

J.-B. G. : « Dans votre livre, tu évoques l'« ange » ou le « clown » pour évoquer la créature naissante « qui rêvait de s'incarner »( 10 ). Et tu ajoutes : « Je n'imaginais pas être une femme, mais plutôt un être encore indéfini, pour ne pas dire infini... »( 11 ). Quand j'ai vu Arletti dans « Le 6ème jour », j'ai perçu ces dimensions d'un être à la fois indéfini et infini. Dans votre préparation, qu'est-ce qui a permis de se rapprocher de ces dimensions ? »

C. G. : « Le point de départ, la genèse du projet de François, c'est la question d'un auteur à des acteurs et ce n'était pas de se dire on va réaliser un travail de clown. C'était le projet de créer un être dont on allait tomber amoureux. François avait l'intuition qu'il y avait des personnages d'une nature particulière, qui étaient capables de sortir des pièces de théâtre, des histoires. C'étaient des espèces d'ovnis, de créatures, qui pouvaient passer d'une pièce à une autre. Cette question initiale « Créer un être dont on allait tomber amoureux », m'a emmenée vers la notion de la métamorphose, du dessin, de la plastique, du déplacement de soi pour que dans ce déplacement, on se ré-envisage « autre ».

S'il fallait créer un être, j'avais l'impression qu'il fallait aller loin, comme pour me méconnaître, m'oublier, ne pas me reconnaître dans le miroir. Et en ne me reconnaissant pas, considérer quelqu'un de vraiment autre, là devant mes yeux, et faire avec cet autre qui était là, une partie du chemin. Ma vie allait dépendre de ça.

Je pense que créer cet autre, c'était avoir besoin de lui. On ne peut pas faire faire à quelqu'un quelque chose qu'il n'a pas déjà au fond le projet de faire. C'est un peu comme ce que fait dire Duras au petit Ernesto dans « La pluie d'été » : « À l'école on ne m'apprend que des choses que je ne sais pas... » et il veut apprendre des choses qu'il sait, forcément ! Ce qui est intéressant c'est de connaître le monde pour se connaître. Donc, connaître, c'est naître avec quelque chose que l'on porterait déjà un peu en germe en soi et qui enfin nous serait révélé. Si on le conçoit, c'est que quelqu'un en nous le conçoit, et qu’il est capable d'habiter une extravagance pareille.

C'est la métamorphose qui m'a aidée.

Quand je travaille avec de jeunes acteurs, je les guide dans ce sens. Je leur demande d'aller devant le miroir et de se dessiner un nouveau visage. D'oser changer leur regard, leurs expressions, pour que ce plaisir ludique de disparaître fasse apparaître quelqu'un de nouveau jusqu'à ce qu'ils aient la sensation que cet « autre » les regarde.

C'est une démarche qui m'est propre et où le maquillage, permet fondamentalement de se « ré-envisager ». C'est une écriture à part entière.

Ainsi souvent dans les stages d'acteurs que l'on dirige avec François Cervantès, on considère ces deux aspects de l'écriture du clown : se créer soi-même et chercher l'écriture qui « anime » cette création. Et de ce binôme naît une créature.

J.-B. G. : « Dans votre livre, tu racontes une répétition de la pièce « Le venin des histoires ». Une diva qui donne « aux anges l'envie de s'incarner dans des histoires terrestres »( 12 ) chante entre deux espaces : celui des personnages et celui des anges. À la vingt-quatrième mesure la diva affronte une mesure mortelle. Tu ajoutes « Je n’ai pas pu être un ange dans ce spectacle parce qu'au vingt-quatrième jour des répétitions, j'ai eu un grave accident de voiture »( 13 ). Comme tu l'écris, « d'une certaine manière tu avais pris la place de la diva »( 14 ). Arletti aurait-elle hérité de la diva du désir impossible de s'incarner dans des histoires terrestres ? »

C. G. : « Je trouvais en tous cas curieuse cette coïncidence d’être tombée dans ce ravin à ce moment-là ! C'était le moment où je découvrais le clown. Le moment où je suis tombée dans le ravin, c'était curieusement un moment de grand bonheur dans mon parcours d'actrice, comme une incarnation violente, passant par une sorte de désintégration au sens physique du terme ! (Rires)

J.-B. G. : « C'est un peu comme un clin d’œil qui te parle parce que c'est associé à la genèse de ton clown ? »

C. G. : « C'est-à-dire que parfois la lumière et l'obscurité sont mêlées, comme le dit Arletti dans « Le 6ème jour ». Pour comprendre quelque chose d'entier, il faut partager les bons et les mauvais côtés. C'est comme quand on dit se marier pour le meilleur et pour le pire.

C'est une notion très présente dans la culture asiatique : le bien et le mal forment « Le Tout ». Il faut qu'il y ait destruction et création en même temps... Dans l'hindouisme, il y a toujours cette notion où, quand une épreuve t'arrive, elle te fait accéder à une connaissance de toi par des forces contraires... C'est tombé à ce moment-là, à cette époque où l'on découvrait le clown. Cette diva dont il était question dans la pièce nous a fait travailler sur la fragilité. Comme sa voix qui était sur un fil, nous étions des funambules. »

J.-B. G. : « Tu écris « C'est là que le clown est entré dans ma vie tout court, à cette époque où j'étais en pleine reconstruction et où je venais de connaître dans ma chair le sentiment de la vulnérabilité »15. La vulnérabilité est-elle devenue une « dimension » d'Arletti ? »

C. G. : « Arletti est faite de cette vulnérabilité. Il faut considérer que la part la plus inquiète, la plus fragile, détient sans doute une richesse à laquelle je ne veux pas accéder, par souci de me dire : « Non, il faut quand même faire des choses qui soient plus fortes, plus intelligentes, plus constructives, plus productrices »... La vulnérabilité, ce n'est pas le tout de la concevoir, d'en parler comme cela, mais c'est quand sur le plateau c'est vraiment vécu comme « Ce sera ça le sujet ! », « Ce sera ça que je vais aimer ! », « Ce sera ça que je veux partager avec le public ! »,...

Hervé Langlois a écrit sur son site : « un clown ça ne se joue pas, ça se respire ! » Je crois vraiment que c'est quelque chose comme ça, en effet ça ne s'explique pas. Il y a quelque chose de l'ordre de l’innommé, de ce que tu dégages. C'est accepter comme dit François Cervantès que le clown est une essence, un parfum. Il y a dans une odeur des choses très complexes et très subtiles, parce qu'elles sont de l'ordre d'une nature profonde. C'est cette nature profonde que tu donnes au public et qui échappe à ton entendement.

Je te dis plein de choses, j'ai écrit des choses dans le livre, j'ai fait des cours avec des actrices et des acteurs mais je suis persuadée que ce que je dis est infime par rapport à ce que je ne dis pas, ce que je ne peux pas dire, que je ne comprends pas et qui est la totalité de mon travail. J'essaye juste de mettre quelques mots sur une partie infime du travail. Pour le reste, je suis persuadée que c'est la connaissance de ce mystère qui me guide, la connaissance de ce que je ne saurai jamais nommer qui m'émeut et me met en mouvement face aux gens. »

J.-B. G. : « La solitude que tu as vécue lors de ton accident a-t-elle influencé le moment de la naissance d'Arletti ? »

C. G. : « Je ne savais pas ce que serait Arletti, mais j'avais commencé à travailler sur le clown à ce moment-là et cela m'avait vraiment fascinée. A posteriori je sais que l’état dans lequel j’étais au moment de mon accident, de ma chute, est un état que je retrouve maintenant sur le plateau : la peur et le désir. »

J.-B. G. : « Est-ce qu'au fond Arletti est seule, comme chacun l'est dans le public ? »

C. G. : « Oui, profondément. Je pense que l'on est avec le public si l'on est profondément seul avec soi. Tant que je suis avec le public, c'est parce que je suis moi, en train de m'attacher à Arletti. J'essaye de suivre ce qu'un être est en train de devenir dans la lumière du plateau et en faisant ce travail-là je suis forcément avec les gens. Mais je ne suis pas avec les gens d'entrée de jeu. Je suis avec les gens parce que je suis avec quelqu'un profondément à l'intérieur de moi. Je cherche quelqu'un qui me manque.

Donc les gens peuvent être tranquilles, je ne suis pas en train de faire un truc pour eux qui va les séduire, qui va être un spectacle efficace et qui est vraiment fait et répété pour produire des effets. Je suis tellement en train de faire ce travail de recherche au-dedans de moi, que c'est comme si j'étais à la cuisine en train de préparer un pot-au-feu et que les gens - des amateurs de cuisine – étaient en train de se dire : « Ça sent bon ! Comment fait-elle ? »

Ils savent bien que je suis en train de faire quelque chose mais ils ne savent pas vraiment ce que c'est. Ils reçoivent la vibration de ce travail. Et la vibration de ce travail, c'est que je suis avec eux parce que je suis en train de faire quelque chose avec quelqu'un d'autre. Ça peut être contradictoire. Et les gens aussi sont avec quelqu'un d'autre en eux, qui fait un travail de correspondance avec tout ça. Ce n'est pas un rapport seulement frontal. C'est comme si on était en parallèle en train de se faire confiance. On peut réfléchir à haute voix, si la réflexion que l'on est en train de mener concerne aussi profondément l'autre. On a besoin de réfléchir. On a besoin d’être dans une chambre seule. Si les gens te laissent dans une chambre seule, c'est parce qu'ils ont compris que cette chambre seule les concernait profondément. Si je faisais quelque chose pour le public directement, les gens n'auraient pas la même attitude.

Ce qui fait rire, c'est qu'ils voient quelqu'un en travail, enfin ils voient quelqu'un qui est dans une gestation … Quand on dit faire naître un clown, c'est parce qu'il naît devant les yeux du public. C’est ça qui est fascinant. C'est vraiment une apparition en train de s'incarner. Et on s'aperçoit que non seulement le spectacle parle de ça, mais qu'en plus nous, public, sommes aussi en train de nous incarner. »

J.-B. G. : « Tu as écrit : « Inventer ce personnage c'était me guérir. Le clown m’offrait l'occasion de me questionner. C'était excitant comme de refaire sa vie. [...] C'était jubilatoire. Un état sauvage uniquement guidé par le désir d'exister »( 16 ). Et tu ajoutes : « La joie c'est le fond de ma pensée »( 17 ). La guérison, est-ce d'éprouver la joie profonde de vivre à travers Arletti ? Ou encore de « toucher les limites de [ton] territoire en même temps que découvrir le territoire de l'autre dans l'intime proximité du [tien]»18 ?

C. G. : « Là c'était parce que j'étais en train vraiment de reconstruire un terrain qui avait été violenté par le choc, les opérations... Mais ce terrain est arrivé au moment où je venais de découvrir le clown quelques jours avant. Au moment où j'ai eu mon accident je sortais d'une répétition de travail sur le clown. J'étais dans la fraîcheur d'un travail que je découvrais, qui là, recevait un choc. Mais j'avais encore la mémoire intacte de cette découverte d'un nouveau monde théâtral : je sentais qu'il y avait quelque chose qui s’ouvrait et que mon corps blessé puis en reconstruction avait à voir avec tout ça.

J'ai eu la chance de m'en sortir ! J'avais l'impression d'avoir un courage qui n'était pas lié à un courage personnel, j'étais animée par une joie, une lumière, je ne sais pas par quoi, mais... peut-être un désir de vivre que je n'avais jamais ressenti à ce point-là parce que je n'avais jamais été en danger de mort. Les gens disent souvent ça, quand ils ont eu un choc très grand : on goûte effectivement très différemment les instants d'après... Tout devient délicieux, ou en tout cas important, parce que ça aurait pu s’arrêter net. »


© Christophe Raynaud de Lage / Arletti dans "Les Clowns", texte et mise en scène de François Cervantes, avec Dominique Chevallier, Bonaventure Gacon et Catherine Germain
© Christophe Raynaud de Lage / Arletti dans "Les Clowns", texte et mise en scène de François Cervantes, avec Dominique Chevallier, Bonaventure Gacon et Catherine Germain


J.-B. G. : « Tu témoignes de la genèse de votre travail avec François Cervantes et Dominique Chevallier en ces termes : « Nous passions des journées entières, le corps immobile, apprenant à repérer nos sensations et à les nommer le plus précisément possible »( 19 ). Tu ajoutes : « La résonance des mots, dans mon corps vidé par le silence et l'immobilité, était celle du présent absolu ». Cette étape qui a duré des mois est résumée en quelques phrases. Pourrais-tu revenir pour nous, sur la façon dont s'est passé ce travail ? Était-ce difficile ? »

C. G. : « C'était un travail excessivement difficile. On était tous les jours, avec Dominique Chevallier (« La curiosité des anges »), tous les deux face à François Cervantes dans une petite salle des fêtes au Grau du Roi. Tous les jours on allait consciencieusement à neuf heures du matin nous maquiller pendant une heure et après on était sur le plateau face à François dans une tenue du corps qui devait prendre en compte la nouvelle « figure » qu'on s'était créée. Avant même qu'une voix n'en sorte, avant même qu'un geste ne vienne, il fallait que ce soit en correspondance avec la conscience de notre métamorphose physique. Ce n'est pas le tout d'avoir un maquillage, un costume, un corps, mais ça se respire, ça se vit, ça se pense ! Et qu'est-ce que pense un être qui a cette couleur-là, cet imperméable-là, qui a choisi de venir comme ça sur le plateau ? Quels mots sortent de sa bouche ? Avec quelle voix ?

Quelles sont les obsessions profondes qui remontent à la surface dans un travail où vous êtes tout d'un coup immobilisé dans un silence, à reconsidérer, justement, quels sont au fond les désirs enfouis en vous, qui sont le socle de votre personne ? Avec François Cervantès, on appelait ça « descendre à la cave », pour aller voir un peu ce qu'il y avait comme « vivres ». Des fois il n'y avait pas grand-chose...

Il y avait des journées où il y avait des silences interminables... On pouvait ne pas parler du tout. En même temps on sentait que dans cette résistance aux mots, à l’expression, au fait de fabriquer quelque chose, on était en train de faire advenir un autre être, de changer de « texture »... Tout ça c'était de l'endurance de l'ordre d'un mental qui se mettait en place, d'un esprit... Et dans cet esprit, on avait tous les deux avec Dominique Chevallier, la confiance que ce travail-là allait nous changer complètement. Pour ma part quand je n'y arrivais pas, je me disais que j'allais arrêter le théâtre. Je mettais l'enjeu assez haut.

C'était tellement puissant quand quelque chose avait lieu, que quand ça n'avait plus lieu, c'était violent, ce manque ! Je ne voyais pas comment je pourrais retourner au théâtre avec l'idée qu'on allait fabriquer des choses, pallier à nos manques par du jeu d'acteur...

Depuis, tout le travail de François Cervantès a aussi été orienté par ça.

Sa démarche est profondément liée à ce qui se dégage entre l'acteur et son écriture et comment cet acteur témoigne aussi de sa propre présence sur le plateau. Il y avait quelque chose qui nous remettait tous en question !

Ces silences-là pouvaient être durs, mais ils avaient un goût très actif, ils opéraient... on sentait que de jour en jour ils nous préparaient à quelque chose...

Il y a eu des moments difficiles, vraiment… Et alors, ce qui est fou, c'est que systématiquement tous les soirs pendant au moins trois mois, François Cervantès nous demandait à Dominique et à moi de faire un spectacle de clown. Ça pouvait durer deux minutes, ou dix minutes, ce que l'on voulait,... On faisait même des affiches et tout ! C'était un solo que chacun présentait aux deux autres devant un public très restreint. Des fois il y avait un copain ou quelqu'un de la famille de François qui assistait à ces mini-spectacles.

Nous étions dans une forme d’endurance à l’inaction durant la journée et à l'action le soir. Parce qu'il fallait considérer aussi la notion de fabrication.

Cet aller-retour entre l'être et le faire était une déstabilisation nécessaire pour avancer.


© Christophe Raynaud de Lage / "La curiosité des anges", de François Cervantes, Dominique Chevallier, Catherine Germain, mise en scène de François Cervantes, avec Dominique Chevallier, Catherine Germain
© Christophe Raynaud de Lage / "La curiosité des anges", de François Cervantes, Dominique Chevallier, Catherine Germain, mise en scène de François Cervantes, avec Dominique Chevallier, Catherine Germain


J.-B. G. : « Tu as parlé du dehors et du dedans, du yin et du yang... Et tu écrivais : « Sans le comprendre encore vraiment, nous mettions le public et nos sensations personnelles au même endroit, le dehors avec le dedans, le yin et le yang. Nous apprenions la peur et le désir dans ce vertige de l'instant »( 20 ). Tu es venue à Arletti à travers le trait du maquillage ; tu évoques une vision, quelque chose d'extérieur qui va être habité, que tu vas explorer. Aujourd'hui, près de trente ans après sa naissance, Arletti paraît complètement habitée. De quoi se « nourrit-elle » ?

C. G. : « Arletti est complètement habitée, c'est ce que voient les gens... C'est comme un violoniste, tu le vois et tu te dis : « Waouh ! Qu'est-ce qu'il joue bien du violon ! ». En fait c'est le violon qui joue de lui. Le musicien travaille à faire sonner sa musique intérieure, à l'habiter. Et le violon l'aide à ça.

« L'habitation » d'Arletti c'est la fréquentation du public, mais qui continue à avoir lieu, donc qui donne effectivement une sensation d’atteindre peut-être plus vite cette question de « l'incarnation ».

Je suis sans doute aidée par le fait que les gens s'approprient beaucoup ce clown, que je ne suis pas la seule à « travailler ». Je sens que le public me renvoie énormément de choses. Je considère que l'aller-retour dans la relation est à ouvrir en permanence parce que le public m'indique le chemin. Ce n'est pas qu'un travail sur moi.

Ma concentration consiste en une « irradiation » : je dois m'ouvrir à ce qui arrive. Le théâtre raconte que quelque chose a lieu. Et pour que quelque chose ait lieu, il faut que je me mette en état de recevoir.

En voyant entrer Arletti sur le plateau, si on sent qu'elle est « habitée », c'est parce ce que je me mets très vite en état de réception. Effectivement, quelque chose est déjà « là », qui ressemble à quelqu'un qui a du désir. »

J.-B. G. : « Tu dis d'Arletti, lors de la création du « 6ème jour », qu'elle était déjà là (Arletti était née avec « La curiosité des anges ») et que tu « pouvais l'observer à une distance joyeuse »21. De quoi était faite cette distance joyeuse entre la comédienne et la clown ? »

C. G. : « La question que nous a posée François : « Pouvez-vous créer un personnage dont vous tomberiez amoureux ? », pose d'emblée la notion de l'altérité. Au début, tu dessines quelqu'un d'autre, et c'est toi qui dessine, et puis peu à peu, ce dessin t'anime et te fait faire ou dire des choses que tu n'aurais jamais imaginé porter en toi. Alors parfois, tu ne sais plus, qui de la créature ou de toi, se met à exister.

Avec le temps, tu commences vraiment à connaître cet autre qui habite en toi et à le distinguer. Maintenant, j'en viens même à sentir que cette créature, qui pourtant vient de moi, appartient aussi au public. Arletti est devenue un personnage public.

C'est une distance joyeuse parce que, je pourrais presque m'absenter ou disparaître. On naît à quelque chose, et puis à la fin de sa vie on meurt. Et dans la création c'est pareil, il y a une « écriture » qui prend vie et puis après tu deviens spectateur de ce que tu as créé. Il y a des moments, j'ai envie de rire, moi aussi, de ce qui a lieu entre le public et Arletti, comme si je n'étais pas là. Je profite maintenant de toutes ces années d’expérience qui me mettent à une certaine distance du travail.

Et en même temps je pourrais tout aussi bien dire le contraire : il n'y a plus aucune distance entre elle et moi. »

J.-B. G. : « Tout à l'heure tu évoquais le clown qui « se respire ». Dans la respiration du clown est-ce qu'il n'y a pas aussi un espace pour le public ? »

C. G. : « Oui, bien sûr... Par exemple quand on inspire et qu'on expire : on dit qu'inspirer c'est prendre quelque chose. Effectivement, on reçoit le public et ce qu'on lui rend il le prend à son tour et ainsi de suite... On fait beaucoup ce travail-là avec François Cervantès dans des moments de training : la relation au public se situe dans cette inspiration et expiration permanente.

Dans « Le 6ème jour », il y a au moins vingt-cinq minutes qui sont totalement silencieuses. Il s'agit d'un échange de cet ordre-là : j'inspire la compréhension du public, et cette écoute silencieuse me met en mouvement. Je déplace les objets en rapport précis avec cette écoute. Je « m'inspire » du public. C'est un véritable directeur d'acteur.

Et si je fais quelque chose qui était l'inspiration d'une autre représentation, je ne suis plus du tout dans la respiration de la salle. C'est en ce sens un travail organique avec le présent. Pour moi, c'est ça « respirer ». Mais c'est difficile à expliquer. Je dis ça, je vois que tu as pris des notes et c'est bien parce qu'il y a des choses qui t'ont sans doute marqué plus que d'autres dans le livre, mais quelque part, là, on réfléchit à partir de phrases qui ont été écrites... Pour moi ce n'est pas que les phrases n'ont aucune valeur, mais c'est toujours difficile d'expliquer ce que l'on fait réellement et ce n'est pas la phrase qui le dit le mieux, c'est peut-être parce que l'on a une conversation, là, que je vais essayer de réexpliquer autrement les choses. Et tout est à réactualiser en permanence. Même si je suis entièrement d'accord avec ce que j'ai pu écrire en 2008, je ne le dirais peut-être pas de la même manière maintenant. Il faut toujours tout retraverser, tout le temps, ré-habiter son propos. »

J.-B. G. : « Tu indiques que « Personne ne peut être Arletti. Il n'y a que moi qui aurais mes chances mais le drame ou le charme c'est selon, c'est que même de ma source, je suis parfois éloignée. Je n'y arrive pas toujours. C'est un vrai travail. »( 22 ) Arletti semble venir ou se nourrir de cette source. Mais de quelle source s'agirait-il ? »

C. G. : « Je ne sais pas trop ce que c'est la source. Je sens à un moment donné que ce qui se fait est juste. François Cervantès nous mettait des heures et des heures en silence devant lui jusqu'à ce que l'on dise le bon mot, que l'on fasse le bon geste, que l'on ait la bonne sonorité. Et quand cela avait lieu, je peux dire qu'on était absolument d'accord avec lui.

C'est quelque chose que j'ai toujours remarqué quand il y a du public, le moment où c'est juste, c'est partagé. C'est quelque chose qui me réconcilie avec le théâtre profondément, c'est qu'il y aurait une objectivité. Même ton ego la reconnaîtrait.

On a du mal à croire cela, parce que l'on se dit, le clown est très lié à la personne. C'est justement parce qu'il y a cet « autre » en nous qu'il peut y avoir une justesse. Ce sont nos êtres intérieurs qui communiquent. Car ce que je vis intérieurement est en vibration avec ce que vit le public. »

J.-B. G. : « Arriver à cet état semble un peu mystérieux... Tu dis que cela peut nécessiter des heures et des heures de travail et puis tout d'un coup il y a quelque chose qui apparaît comme étant juste... »

C. G. : « Oui, et ce ne sont peut-être pas des heures et des heures de travail pour quelqu'un. Ça vient de la vie : un rapport nécessaire au monde qui te fait trouver tout de suite la chose juste à faire, à dire, à être.

Au théâtre on doit inventer les conditions d'une justesse, si toutefois on a envie de faire un théâtre qui parle de la vie. Mais on n'est pas en permanence sur le plateau, surtout en répétant, à être relié à une source juste. Donc il faut bien la pratiquer cette relation à quelque chose de vrai. C'est vraiment travailler son être comme un musicien et son instrument de musique : il faut arriver à comprendre et à se connaître, savoir comment on fonctionne. Cela rejoint pour moi le travail de l'acteur, qui doit comprendre d'où il part pour « incarner » tel ou tel rôle qui a été écrit.

Ce n'est pas parce qu'il est acteur et qu'il a reçu une formation dans un stage que c'est bon ! Il faut que ça touche quelque chose en lui, qui fait que ce qui va se passer avec ce texte, avec cette mise en œuvre, va non seulement paraître juste, mais va le rendre juste, lui. L'œuvre va le rendre naturel, enfin il ne va plus faire des trucs « pour épater la galerie » ou je ne sais pas quoi... Il va devenir quelqu'un devant toi, il va peut-être devenir un Hamlet, et tu vas être troublé parce que tu vas dire, non seulement il est en train de jouer Hamlet mais il est en train de devenir quelqu'un. C’est comme si les œuvres étaient là pour éclairer ceux qui sont vivants, pas pour parfaire des personnages. Les auteurs ont écrit des pièces pour que le théâtre ait lieu dans l'instant du spectacle dans le corps des acteurs.

La soirée théâtrale est d'une certaine qualité quand les spectateurs ont l'impression de voir Hamlet, parce que l'acteur est en train de faire quelque chose qui lui permet d’être plus vivant que le Hamlet écrit. Le théâtre est vraiment l'art du présent et le présent, ça se travaille. »

J.-B. G. : « J'ai été frappé par la présence d'Arletti. Comme si elle était à la fois présente et ailleurs. Comme si Arletti percevait, écoutait chacun dans le public et en même temps comme si elle ne regardait pas les personnes dont elle s'approche, entrant en relation « distanciée » avec chacun. Comme si des solitudes se rejoignaient sans se rejoindre vraiment... Le regard d'Arletti dans le public est à la fois très présent et semble « global »...

C. G. : « Je ne peux pas dire comment ça fonctionne, mais c'est un regard qui vient d'une intériorité très lointaine en moi et va vers d’autres intériorités très lointaines du public.

On est peut-être en train de se regarder à cinq ans d'écart, à deux générations d'écart ou à trois mètres... Ce qui se passe entre des êtres est un espace-temps difficilement mesurable.

C'est comme les enfants qui ne se connaissent pas dans une cour de récré, où ils se parlent en se tutoyant tout de suite, en se parlant fort, en insistant ! Il semble dire à l'autre : C’est parce que tu me fais peur que je te parle fort ! Parce que mon désir de te parler est plus fort que ma peur ! » Ils mettent les tons, les décibels à un endroit où l'on comprend bien qu'il s'agit de deux êtres intérieurs qui se parlent.

Parfois, on devine mieux les gens quand on sent ce qu'ils font derrière les mots, derrière les yeux, parce qu'on reçoit leur intention d'établir un contact profond.

On est dans une société, où l'on est en général très, très influencé par le regard immédiat, le visuel, comme si c'était le premier des sens, comme si c’était lui qui disait la sociabilité. Or le regard suppose aussi tout ce que « je pense » de notre rencontre... C'est complexe.

Ce n'est pas seulement le regard qui définit le contact, c'est toute la peau, toute la personne toute la peur de l'autre. »

J.-B. G. : « En parlant de la création du « 6ème jour », tu précises : « C'était un solo et je devais devenir à la fois l'auteur de mes actes, le régisseur de mes pensées et le plasticien de mes sensations »( 23 ). En quoi consistait l'intervention du régisseur de tes pensées ? »

C. G. : « Je ne sais plus précisément pourquoi j'ai écrit ça, mais, peut-être parce que j'essaye de sonoriser, d’éclairer au sens physique du terme mes pensées.

Un régisseur c'est aussi quelqu'un qui organise, qui orchestre sur le plateau la diffusion et le rapport à la technicité du contact... Les pensées qui te traversent, il faut les organiser, les rendre accessible, les diffuser en les incarnant. C'est une façon d'être un peu à la « console ».

Un solo, c'est maîtriser un certain nombre de fonctions qui sont liées au théâtre dans son entièreté. Il faut que tu aies aussi la connaissance de ce que le public suit de toi à ce moment-là. Le public n'est pas seulement en train de suivre ta petite personne à l'intérieur. C'est compliqué un solo, parce que c'est comme dans une transat en solitaire, il y a pas mal de paramètres pour maîtriser un voilier qui avance à toute vitesse. »

J.-B. G. : « Tu décris comment tu reçois les paroles de François Cervantes quand il te guide : « Je reçois ses phrases à un endroit qui n'est pas celui de la raison ni de la logique. Je suis reliée à l'amont de ses mots et sa pensée me rend très active parce qu'elle m’atteint à un endroit central. Un endroit originel. Au commencement. »( 24 ) Que voulais-tu dire ? »

C. G. : « Ce que je voulais dire, c'est que François, par exemple, et puis d'autres acteurs te le diront, est un excellent public. « Excellent public », cela ne veut pas dire qu'il rit quand tu fais quelque chose. Pas du tout, il est même très exigeant. Mais ses variations sont une façon de nous exercer à ce que sera le rapport au public. J'ai l'impression que son être intérieur est vraiment à vif : il reçoit ce qu'il est capable de recevoir. Tu entends ce qu'il pense. C'est ce que l'on doit faire avec le public : écouter une langue qui parfois est silencieuse, parfois bruyante quand les rires arrivent et parfois agitée quand il y a de l'impatience ou de l'incompréhension. Et c'est grâce à cette pratique de la langue du public que je traverse avec confiance l'épisode silencieux de la première partie du « 6ème jour ». »

J.-B. G. : « Tu évoques dans votre livre l'enfant « complexée » que tu étais. Une enfant qui parle peu et craint de devoir formuler un avis qui t'aurait fait sortir de toi, qui court se cacher quand des gens qu'elle ne connaît pas viennent à la maison. Et tu expliques : « Ce que j'ai appris avec Arletti, c'est de ne pas sortir au dehors n'importe comment et surtout pour n'importe quelle raison »( 25 ) Avec Arletti tu cultives ta « peur de l'autre », tu l'observes « et elle devient source de création ». Le fait d'avoir« pu [te] jouer autre »( 26 ), est-ce un point de guérison ? Et la guérison, est-ce de jouer avec Arletti des failles de Catherine ?... Et d'en faire rire ? »

C. G. : « Peut-être que le chemin n'est pas de résoudre des malaises et d'en guérir mais plutôt de les observer et de les laisser apparaître, parce qu'au contraire ils permettent aux autres de s'y reconnaître. Le contact a lieu si la sincérité entre en jeu. C'est un peu comme quand on dit « Le ridicule ne tue pas ». Il n'est plus jamais ridicule pour peu qu'on le mette en lumière. Ce genre de réflexion ne vient que par l’expérimentation profonde de cette mise en abîme. Ce n'est pas un truc que je sors de ma réflexion. C'est parce que, me mettant dans cette position de mal-être, à un moment donné ce mal-être est devenu, je ne sais pas pour quelle raison, admis, aimé, comme faisant partie de moi et a nourri ma nature comique.

Par exemple la timidité, beaucoup d'acteurs vont dire qu'elle a été un moteur pour ce métier. Et ce n'est pas étonnant, car en tant qu'acteur, on a des épreuves à passer. La timidité en est une, terriblement excitante. Tu passes un cap gigantesque qui est d’être sur un plateau devant 500 personnes alors que tu es mort de trouille. Tu vas vers des limites de toi au-delà de ce que tu pouvais imaginer et en ce faisant, tu te dis : « elle a bien fait d’être là cette peur ». Tu finis par t'en faire une alliée. Elle devient un atout. Et puis surtout tu t'aperçois que tu n'es pas seul à la porter, elle est commune à beaucoup. »

J.-B. G. : « Oui, je te cite : « Maintenant, quand je sens ce vertige du vide, j'aime ça, c'est comme une ivresse »( 27 )... »

C. G. : « Cette peur n'est pas destructrice. On a toujours peur de se perdre en ayant peur, comme on a peur de ne rien trouver, d’être idiot... Parfois je me disais « Non je ne vais pas faire ça, c'est pas intéressant, je pourrais faire mieux ! ». Pendant toutes ces heures d'inertie sur le plateau avec François, on a creusé ce vide. Il nous a orientés dans cette direction pour justement atteindre la zone du désir.

Maintenant je reconnais qu'il y a chez l'acteur une intuition pour rejoindre cette zone. Il n'y a que lui qui peut continuer, dans des moments de grands doutes, de grande incertitude, parce qu'il porte cette conviction, même inconsciente, qu'il peut trouver au fond de lui des richesses. Sinon il arrêterait !

Alors bien sûr, il y a des gens qui peuvent nous mettre en confiance pour aller vers ces richesses. François m'a aidée. Et tant mieux ! Mais au fond j'étais d'accord pour aller dans cette direction.

Je le vois parmi les élèves qui ont le plus d’entêtement à continuer : il y a quelque chose qui s'ouvre vraiment. Et le moment où ils s'entêtent c'est le moment le plus formateur : un moment autodidacte de pure construction, une naissance qui est sa propre création en tant qu'être avec toutes les fragilités que cela suppose. L'acteur consent « à être au monde ».


© Christophe Raynaud de Lage / "Le 6e jour", écriture (d'après la genèse), scénographie, mise en scène de François Cervantes et Catherine Germain, avec Catherine Germain
© Christophe Raynaud de Lage / "Le 6e jour", écriture (d'après la genèse), scénographie, mise en scène de François Cervantes et Catherine Germain, avec Catherine Germain


J.-B. G. : « Faire rire, c'est consoler, calmer, donner du courage à ceux qui sont perdus, qui l'ont été ou qui le seront ». Ferais-tu le plus beau métier du monde ?

C. G. : « Rire, c'est essentiel ! Il n'y a pas que dans ce métier que l'on rit. Moi les gens qui rient, j'adore. Je suis la première à entendre des rires dans la rue, à me délecter de certains rires. Quelle dilatation et quel endroit de communication ! Quand tu arrives à faire rire quelqu'un, quand quelqu'un te fait sourire ou rire, pour moi c'est énorme ! Je suis très reconnaissante aux personnes qui font rire. »

J.-B. G. : « Deux cartes postales de bébés orangs-outans » t’accompagnent partout. Tu écris : « L'effet qu'ils me font quand je les regarde c'est ce à quoi je voudrais ressembler. Je cherche un sentiment d'amour absolu. »( 29 ) Qu'est-ce que t'inspirent ces bébés orangs-outans ? »

C. G. : « Je ne pourrais pas dire, c'est le moment où tu regardes un visage comme ça et tu sais ce que tu vois. Tu te reconnais. Peut-être parce que c'est un animal et pas un homme, il y a quelque chose de tellement proche de toi, dans le sentiment d'être éberlué, d’être là à l'intérieur de cette expression qui te fait face et qui te fait un effet.

C'est quelqu'un qui te met en mouvement ! Comme quand tu regardes un enfant, il a une expression ou un visage qui te bouleverse. L'effet que ça te fait, tu aimerais bien pouvoir faire ça à quelqu'un d'autre, ressembler à ça.

On est responsable de l'effet que l'on fait à quelqu'un. Quand je regarde ces photos de bébés orangs-outans c'est immédiat la réponse que j'ai à l'intérieur ! Il n'y a pas de filtre. C'est quelque chose qui fait un appel d'air. Je ne cherche pas seulement des choses à l'intérieur de moi, je cherche aussi à me mettre en vie par des choses de l'extérieur : des idées, des regards, des pensées, des couleurs, de l'abstrait, de la peinture, de la musique, une histoire, un regard...

C'est encore cette disposition à me mettre en lien avec l'autre quel qu'il soit, même un singe, qui m'importe ! 

En fait je cherche tout ce qui pourrait me raconter qui je suis. Ne me connaissant pas, j'attends que ma connaissance vienne de mon rapport au monde.

Quand je parle de « rapport au monde », je parle d'une apparition, d'une manifestation de la vie en moi, d'un mouvement intérieur, d'une naissance à laquelle d'autres humains participent par la reconnaissance immédiate du mystère de leur propre existence. C'est une question que l'on partage entre humains, car notre rapport au monde, bien sûr, dépasse cet entre-soi et nous le savons profondément. »


© Christophe Raynaud de Lage / Catherine Germain devient Arletti en présence des bébés orangs-outangs
© Christophe Raynaud de Lage / Catherine Germain devient Arletti en présence des bébés orangs-outangs


J.-B. G. : « Tu écris que ce que tu apprends avec l'expérience, « c'est que [tu] peux être là, en pleine lumière même dans le manque de toi [Arletti], et juste avouer au public que [tu la] cherche[s] encore ».( 30 ) Comment se passent ces moments-là ? »

C. G. : « Ce sont des moments à ne pas meubler par autre chose. Il s'agit de ne pas jouer un personnage - c'est ce que me dit souvent François dans le travail. Effectivement quand je ne joue pas un personnage, je pense qu'Arletti est plus là. Ce n'est pas parce que j'ai cette apparence-là que je dois jouer une petite fille. Son intrépidité, son insolence, sa pertinence, ça ne vient pas du fait que ça pourrait ressembler à une enfant qui serait comme ça... Ça vient du fait que derrière, ça me rend intrépide, insolente, coquine, de chercher quelqu'un qui me manque et ce n'est pas le même mouvement. Ce n'est pas la même chose. Et quand je n'arrive pas à trouver, et bien c'est mieux qu'il n'y ait rien, que d'essayer de remplir par une gamine qui serait enfantine.

Le public contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'est pas dupe ! Il ne pourrait pas analyser d'où vient la différence, mais il sent bien que l'on ne lui fait pas le même effet. Le clown a cette particularité d’être très cruel dans la sincérité... Enfin, le public voit la différence entre ce qui est sincère et ce qui est joué. C'est-à-dire, qu'il voit si l'acteur fait un truc pour lui ou s'il est profondément accordé à ce qu'il est en train de vivre intérieurement.

Je sens les moments où je suis « en force » et où quelque chose s'est joué sans être vraiment sincère à tous les instants. La seconde d'après je le paye cash : le public recule. Il est comme un Bernard l’Hermite. Il ne s'approche que s'il sent que c'est bon pour lui parce qu'il sent que tu es entièrement sincère avec toi-même.

En ce sens il avait raison ce directeur de théâtre qui n'aimait pas les clowns (mais qui avait pourtant accueilli six semaines "Le sixième jour" dans son théâtre !). Les clowns ont une grande responsabilité. On ne peut pas servir du réchauffé, c'est sûr ! »

J.-B. G. : « Tu évoques un « vertige partagé » expérimenté en Espagne, ce que tu appelles le « passage de l'ange », un tour « dans l'arrière-pays de [ta] conscience », une expérience extrêmement forte de relation d’âme à âme entre chaque personne du public et toi, où tu as perçu que « tout s’arrêtait »( 31 ) Cela m'a fait penser à une expérience « quasi mystique ». Mais s'agit-il de cela ? »

C. G. : « Oui, peut-être il doit se passer des choses de cet ordre-là. Pour peu que ton enjeu dans ce travail ne soit pas de l'ordre de la recherche d'une perfection théâtrale, mais d'une véritable recherche d'un rapport à l'autre, toutes tes antennes sont ouvertes à certaines choses, peut-être plus encore aiguisées que si c’était seulement un travail d'acteur. Pour moi, la notion de théâtre dépasse la notion d'un art qui se pratique sur scène : c'est la notion d'un art qui parle du rapport au monde.

Je suis excessivement attachée à ce que quelque chose « ait lieu » : je vais me prêter à chaque fois à ce que ce soit une expérience.

Certains silences sont d'une qualité particulière, je les goûte, je les vis, je les renforce par un travail de conscience partagée, de façon à ce que, à tous, on ait vécu quelque chose.

Je cherche à ce que ces instants présents soient des instants de vie qui ne soient pas uniquement liés à une représentation théâtrale, mais qui nous aident les uns les autres à nous nourrir d'une connaissance de nous-mêmes plus grande encore. La personne qui va repartir qui était boulangère ou pompier, je n'ai pas envie qu'elle se dise qu'elle a vu une belle pièce ! J'ai envie qu'elle reparte avec quelque chose en elle qui lui donne du courage pour continuer demain, de l'amour d’elle-même... Peut-être parce qu'elle a été heureuse à ce spectacle, cela veut dire qu'elle a été présente, parce que tout son être a vibré, parce qu'elle est capable d'avoir des émotions, parce qu'il y a une ouverture en elle... Et tout ça participe de la suite de son chemin. Les plus beaux cadeaux que j'ai, c'est ça : le retour des gens à qui, je le vois, il est arrivé quelque chose de personnel et d'intime et qui m'en remercient.

La pièce est un prétexte pour se rencontrer, elle n'est pas un prétexte pour jouer. Ça n'aurait pas de sens. »

J.-B. G. : « On arrive au bout... »

C. G. : « Le septième jour ! » (Rires)

J.-B. G. : « Est-ce que tu penserais à une question que l'on ne t’aurait jamais posée et à laquelle tu aurais aimé répondre ? »

C. G. : « Non. En interview on ne se pose que des questions, et moi sur le plateau au fond je me vis comme une question, parfois même dans une incertitude totale en ce qui concerne ma propre existence... »

J.-B. G. : « Est-ce qu'il y a des sujets non abordés dont tu voudrais parler, parce qu'importants dans ce que tu vis avec Arletti ? »

C. G. : « Ce qui est important, c'est ce qui va faire partie ni du livre, ni de l'entretien que l'on a... mais de tout l'entre-deux de notre rencontre.

Souviens-toi de tes sensations, encore innommées pendant ou quand tu as quitté le spectacle ou des pensées, de l'état dans lequel tu étais qui pour moi raconteront ton voyage à toi dans le rapport à ce clown. Et ça, tu verras que c'est difficile à nommer, mais c'est l'interview de ton être intérieur.

Comme moi je me dis : il faut que j'écoute aussi ce que je ne peux pas dire, qui est sans doute la part la plus vraie et qui ne sera dans aucune interview, et bien, pour toi aussi, en tant que personne qui a envie d'en savoir plus, c'est d'en savoir plus sur toi-même à travers ce sujet qui visiblement t'anime beaucoup, t'habite. Et ça ne viendra pas de moi, là. (Rires)

J'ai joué il y a quelques années dans un village de Bretagne et quelques mois plus tard j'ai reçu le coup de fil d'une femme sculpteur, Monique Failler qui avait été très marquée par Arletti et qui a créé une sculpture que j'ai trouvée magnifique, parce que c'était vraiment une vision qu'elle a eue de ce clown.

C'était l'effet encore une fois que cela lui faisait à elle. Je l'ai achetée et je l'ai remerciée pour la façon dont elle s'était approprié ce qu'elle avait ressenti.

C’était une autre façon de m'interroger. C'est cette métamorphose qui m'intéresse et qui fait que cette « interview » sera aussi la tienne. »

A la suite de cette interview, je me suis souvenu de ce qu'écrivait Rainer Maria Rilke, dans une lettre « à un jeune poète » (1903) : « Presque tout ce qui arrive est inexprimable et s’accomplit dans une région que jamais parole n’a foulée. Et plus inexprimables que tout sont les œuvres d’art, ces êtres secrets dont la vie ne finit pas et que côtoie la nôtre qui passe. »



Notes :

(1) « Le 6ème jour », Écriture (d'après La Genèse), scénographie, mise en scène : François Cervantes et Catherine Germain, avec Catherine Germain, 1995-2015

(2) J'ai découvert, plus tard ce passage dans «  LE CLOWN ARLETTI vingt ans de ravissement », de François Cervantes et Catherine Germain, Magellane & Cie/ Editions Maison, qui me semble correspondre à ce que j'ai expérimenté (p. 137) : « Quand on sent, dans l'obscurité et l'anonymat d'un public, qu'une créature nous touche parce que ce qu'elle fait et ce qu'elle est dépendent entièrement de notre relation à elle, comment ne pas « craquer » pour cet être-là qui nous a juste rendu à nous-mêmes ? »

(3) Catherine Germain écrit dans « LE CLOWN ARLETTI vingt ans de ravissement » : « chaque spectateur a eu le sentiment qu'Arletti s'adressait à lui en particulier avec le plaisir de pouvoir partager cette intimité avec d'autres. C'est comme ça que se compose un public, dans l'éveil de chaque être qui le compose. »

(4) Lire aussi l'entretien accordé par Hervé Langlois, alias Angelus (Royal Clown Company) à Jean-Bruno Guglielminotti pour La Grande Famille des Clowns ©[ GFdC ]

(5) Ibidem, p. 145

(6) Gilles Defacque est directeur, auteur et metteur en scène au Prato, Théâtre International de Quartier - Pôle National des Arts du Cirque à Lille

(7) Ibidem, p. 38

(8) Ibidem, p. 117

(9) Ibidem, p. 117

(10) Ibidem, p. 117

(11) Ibidem, p. 117

(12) Ibidem, p. 117

(13) Ibidem, p. 118

(14) Ibidem, p. 118

(15) Ibidem, p. 118

(16) Ibidem, p. 119

(17) Ibidem, p. 115

(18) Ibidem, p. 115

(19) Ibidem, p. 121

(20) Ibidem, p. 122

(21) Ibidem, p. 124

(22) Ibidem, p. 124

(23) Ibidem, p. 127

(24) Ibidem, p. 127

(25) Ibidem, p. 129

(26) Ibidem, p. 132

(27) Ibidem, p. 131

(28) Ibidem, p. 135

(29) Ibidem, p. 137

(30) Ibidem, p. 146

(31) Ibidem, p. 148

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