Typhus, ou l’envol d’un papillon...

par Roseline PONTGELARD - il y a 9h

Carte Blanche à Typhus Bronx au centre culturel Jacques Duhamel de Vitré pour la saison 2025/2026. Après avoir programmé « Trop près du mur » en 2024, Typhus est programmé cette année avec le « Délirium du papillon » et « La petite histoire qui va te faire flipper (tellement qu’elle fait peur) ». C’est lors d’un parcours « Fous de théâtre » que j’ai pu rencontrer le comédien Emmanuel Gil qui a accepté d’échanger en petit comité avec les spectateurs. Nous avons d’abord patienté. Puis il est arrivé, expliquant qu’il était « enfermé dehors ». Pour entrer, il aurait escaladé une grille et un portique. Le spectacle ne se limite décidément pas à la scène. Très vite, autour d’un thé ou d’un café, les questions fusent.


« Pourquoi ce nom, Typhus Bronx, ça vient d’où ? »

Emmanuel Gil : « Ça vient d’un stage clown, c’est une maladie mal connue. Quand j’ai fait des recherches sur cette maladie, j’ai vu que typhus, venait du grec τυφος qui veut dire stupéfaction, jubilation. C’est une espèce d’étonnement permanent, d’hébétude, je trouvais ça intéressant, c’est un peu le personnage.

Bronx, c’est son pendant, sa part sombre. C’est le noir et blanc, c’est un peu le gentil, le méchant.

Après, je me suis amusé à les mêler l’un à l’autre pour qu’il soit guidé par ses états. C’est un dédoublement de personnalité. »

 « Tu as des bases sur la folie, sur la psychologie pour créer le « Délirium du papillon » ? »

E.G. : « Le thème de la folie m’intéresse depuis longtemps. J’ai beaucoup lu sur ce sujet. Je me suis beaucoup interrogé. En tant qu’intervenant théâtre, j’ai passé quinze jours dans un institut de soin avec des psychotiques et des personnes atteintes de maladies mentales. Je me suis intéressé au sujet de la folie et de la norme sociale. À travers cette expérience, j’ai été troublé par ce que je pouvais ressentir. J’ai eu beaucoup d’empathie pour eux, ils sont très attendrissants et en même temps, j’avais envie de rire parfois, et je n’osais pas. 

Par exemple, un jour, dans un des ateliers, une des personnes, au moment de s’asseoir, pleurait. Ensuite, on s’est rendu compte qu’elle s’était écrasé le pied avec sa chaise. Alors voilà, c’est tordant et en même temps, ça fait mal au cœur. C’est tragique. Et pour moi, Typhus est à cet endroit-là, à la frontière entre les rires. Au fur et à mesure, j’ai appris à me détendre et eux aussi en fait. J’ai trouvé qu’ils avaient beaucoup d’humour sur eux-mêmes. Alors, j’ai choisi de mettre tout ça sur le plateau, comme ça maintenant les gens auront la permission d’en rire. Et j’ai questionné le rire, les couleurs du rire, le rire jaune. Est-ce qu’on rit avec ou on rit d’eux ? Mais je dirais aussi que le rire peut être cruel. Ici, on ramène la folie à quelque chose de très humain.

Dans le « Délirium du papillon », on parle de la folie, de l’enfermement. Mais il y a aussi la mise en scène des puissants, des sachants avec la scène de la réunion des psychiatres. Typhus est en fait le bouffon. J’ai vu parfois des gens qui se gargarisent de leur savoir théorique, mais en fait en psychiatrie, il manque surtout du personnel, des moyens humains. On se cache derrière des médocs à fournir. Parfois, certaines personnes qui travaillent en psychiatrie m’ont dit qu’ils voyaient ce qui se passait en réunion dans le spectacle. »

« Et justement, tu interpelles beaucoup le public, est-ce que tu te moques d’eux parfois ? » 

E.G. : « C’est une frontière. J’en joue, mais les gens qui sont là, ne le prennent pas mal, il y a une forme de susceptibilité, mais je n’insiste pas chez les gens chez qui ça bloque. Le public projette aussi beaucoup de peurs sur ce qui pourrait se passer. Le spectateur ne sait pas comment réagir. Je joue avec cette tension, mais Typhus n’a rien de violent en fait. J’ai aussi plusieurs lapins dans mon chapeau pour jouer avec le public. Parfois, j’ai des surprises, mais les gens de salles sont sages. J’ai beaucoup joué dans la rue. Dans la rue, il y a des chiens qui passent, des gens, des incidents parfois… Ça m’a ouvert à une porosité. Mais, je peux me faire déborder. Et à certains moments, jouer avec le public, n’est pas judicieux, alors ça apprend à faire des choix. »

« Qu’est-ce qui te fait passer d’une voix à l’autre ? »

E.G. : « Ce sont les états, des moments d’agacement, et puis ce sont des flux de conscience. Cela guide les états du clown. Je change de voix, au fil des états, je joue beaucoup avec les ruptures. J’aime piquer le spectateur de chaud-froid. Ça allège l’atmosphère pour faire passer la pilule. Dans « Trop près du mur », c’est un sujet grave, alors je fais des blagues et ça permet d’alléger. »

« Qu’est-ce que le personnage représente pour toi, en tant que personne ? Est-ce que le personnage influe sur toi ? »

E.G : « En fait, j’ai cherché à reprendre le fil de ma propre « folie » et de mes angoisses, névroses. Et puis, je me sens très révolté par rapport à une société très normative, oppressante. Alors, c’est une façon pour moi de l’exprimer et de parler de tout ça. C’est une forme de catharsis. Ça m’a permis de rendre acceptable beaucoup de choses. Et puis, je parle, je pense, au nom de plein de gens.

Si le spectacle tourne, c’est qu’il fait du bien. Ça fait du bien d’avoir une parole franche. Typhus est un personnage sans filtre, qui pose un regard sur la réalité. J’ai aussi voulu réhabiliter cette figure de fou du village qu’on avait avant. Dans certaines civilisations, ça existe encore. En fait, on voit bien que certaines personnes ont le droit de parler, de dire des choses, sauf que ça fait du bien à tout le monde de parler. Ce que la bienséance nous interdit de dire, mais ce que tout le monde pense, eux le disent. J’ai donc eu envie de créer un personnage qui dise la vérité sans filtre, qui est sa vérité. J’ai projeté beaucoup de choses de moi, j’ai interrogé ma colère du monde et le clown m’a beaucoup aidé personnellement à cela. »

« Est-ce que tu fais une différence entre le jeu de clown et le jeu d’acteur ? »

E.G. : « Je me définis avant tout comme un acteur. J’ai une formation de comédien, j’ai joué Molière, Shaeskpeare. J’ai aussi fait un peu de cirque, ça a été mon entrée vers le théâtre et je suis danseur de capoïera. Pour moi, le clown est avant tout un jeu d’acteur. Ici, il définit l’acteur. C’est un outil pour l’acteur. Ça amène une corporalité particulière, une voix particulière. Ça permet au personnage de s’éloigner d’une certaine humanité. J’aime bien l’idée que les clowns sont des entités qui viennent d’ailleurs. J’aime bien aussi l’idée que l’acteur est un réceptacle et que c’est le personnage qui me traverse. 

Après, il y a le rapport au présent, c’est un état du corps particulier qui fait qu’on sort d’une écriture trop théâtrale, figée pour être dans un rapport plus vivant où chaque représentation va être différente. Je me suis mis à créer cette langue écorchée. Je fais beaucoup de parole automatique en création. Je libère la parole et je peux parler une heure sans m’arrêter jusqu’à ce que le langage se transforme. Ce que j’aime dans le jeu de clown, c’est de mélanger les codes de genre dans un personnage. Pour moi, le clown est comme un animal dans un zoo. Il joue avec tout ce qui l’entoure. On pourrait le regarder des heures. J’aime aussi jouer avec les matériaux bruts, j’aime les matières viscérales comme Olivier de Sagazan qui travaille avec de l’argile. »

Typhus Bronx,« Le délirium du papillon ». Crédit photo : ©FabienDEBRABANDERE
Typhus Bronx, « Le délirium du papillon». Crédit photo : ©FabienDEBRABANDERE


« Comment écris-tu tes spectacles ? »

E.G. : « Pour « Trop près du mur », c’est venu avec une sortie de résidence qui s’est produite trop tôt. Je devais faire une sortie de spectacle devant 300 spectateurs deux soirs d'affilée… Je n’avais pas grand-chose. Alors, je suis arrivé, et j’ai expliqué le propos en disant que Typhus voudrait avoir un enfant, mais je ne sais pas trop s’il serait capable d’être un parent. J’ai demandé aux spectateurs, spectatrices ce qu’il faut faire pour être un bon parent, ce qu’il faut éviter. J’ai tout écrit sur un paperboard, et j’ai dit : « On va faire ça ! » Et j’ai laissé la place à Typhus. J’ai commencé le maquillage et le dialogue avec lui. Les gens ont retenu cette introduction et cette transformation. Je me suis dit que ça avait du sens parce que je voulais parler de la transmission, de la filiation. On allait donc questionner ce lien en fait avec ce personnage qui m’accompagne depuis dix ans. 

Pour l’écriture scénique de « Le Délirium du papillon » par exemple, je travaille avec un regard extérieur, Marek Kastelnik. Je propose un canevas d’idées et on découpe tout, on travaille par séquences avec un fil rouge, avec des moments de bascule vers un autre univers par exemple. Je travaille sur des impros et des reprises d’impros. Et c’est un dialogue entre nous. J’ai travaillé la parole automatique pour déformer le langage, c’est pour ça qu’il y a des jeux de mots et ça peut amener une forme poétique. Pour le décor et les lumières, je délègue.

Avec « La petite histoire qui va te faire flipper ta race », j’ai lu un conte de Grimm qui m’a marqué par sa cruauté, le conte du Genévrier. J’ai travaillé autour de la peur. J’ai fait une performance dans mon appartement de vingt minutes. C’était vraiment la soirée pyjama de la peur. C’était autour du théâtre d'objets. Et puis je me suis lancé dans la forme longue en faisant une résidence de quinze jours. La première, je croyais que j’allais présenter une forme de quarante-cinq minutes, mais j’ai joué une heure et demie… C’était très joyeux. En fait, j’ai créé le spectacle au fur et à mesure des représentations. Donc, c’est la face d’adolescence de Typhus. On a créé « Scalp » aussi, avant « Trop près du mur ». C’est une création collective à trois. C’est un travail de comédien. Il y a un personnage central, Marek, qui fait un rêve. C’est l’histoire d’un mec ordinaire qui sombre progressivement dans la folie. C'est une forme de cauchemar burlesque, un peu sur la crise existentielle. On joue plusieurs personnages qui interviennent dans la vie du personnage central. On dérive aussi vers l’absurde. C’est un cauchemar burlesque. » 

« Est-ce que Typhus inviterait d’autres clowns ?

E.G. : « Sur le principe de la carte blanche, on a répété pendant six jours, une performance avec Fred Blin, Ludor Citrik et on a monté un spectacle. Ce n’était pas évident de se retrouver dans le travail et nous n’avions pas beaucoup de temps. Nous avions besoin également d’un regard extérieur. Maintenant, j’ai envie de continuer à travailler la figure du clown avec des genres, des codes de jeu différents. »


Roseline Pontgélard
Metteuse en mots du groupe « Fous de Théâtre »

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